Le Cours d’éveil musical Kaddouch®
Construire un scénario, vers un épisode pédagogique
L’épisode pédagogique constitue l’étape cruciale du contexte d’apprentissage, considéré comme écrin à la nouveauté. William James décrivait déjà en 1891, dans son traité Principles of psychology, les relations en traitement temporel et mécanismes mnésiques. Il distinguait ainsi la mémoire primaire, immédiate, celle du « présent psychologique » (environ 3 secondes) de la « vraie mémoire », dite « secondaire », qui correspondrait à la connaissance d’un événement auquel on ne pense plus, mais qui revient, enrichi d’une conscience supplémentaire ; cet événement apparaîtrait comme objet d’une pensée ou d’une expérience antérieure.
Le souvenir
Ainsi, « un souvenir est plus qu’un fait qui a sa date dans le passé : c’est un fait qui a sa date dans mon passé… il faut qu’il m’apparaisse enveloppé de cette chaleur et de cette intimité… qui sont les critères grâce auxquels la conscience reconnaît et s’approprie comme sienne n’importe quelle expérience ». William James posait déjà les jalons de la mémoire épisodique théorisée près d’un siècle plus tard par Endel Tulving, en 1985.
Le scénario
Dans cette perspective, le scénario implique une élaboration de données informatives et éducatives dans un espace personnel émotionnel stimulant la mémoire épisodique et permettant leur extraction-sémantisation dans un ordre et un temps jugé opportun par l’élève. Le moment venu, l’enfant se place au centre d’un univers qui est le sien, on pourrait même dire qu’il est au centre de la création de son univers. Associant les éléments du cours aux événements de son histoire personnelle, le scénario participe à la formation des souvenirs épisodiques qui s’inscriront potentiellement dans la mémoire à long terme au sein de la mémoire autobiographique.
Le dispositif d’apprentissage – découverte
Installé devant le piano comme devant son coffre à jouet, l’enfant va choisir ses personnages et va construire ses histoires, ses événements, ses épisodes. Le maître participera à l’élaboration de ce scénario, se soumettant aux choix actuels de l’élève autant qu’en lui proposant des choix précédemment réalisés, constituant ses zones de réussites dans lesquelles l’enfant avait eu déjà tant de plaisir. L’ancrage, c’est à dire le choix optimal parmi les zones de réussite, va agir tel un levier pour permettre à l’élève d’accéder à l’expression de son propre univers sonore.On remarquera que le fil conducteur restera l’ancrage, c’est à dire l’investissement des zones de réussite optimales.
Le scénario réalisé obtiendra, dès lors, de meilleures caractéristiques de plaisir pour l’enfant, générant ainsi un traitement plus profond des informations, des associations plus solides entre les éléments, favorisant alors la consolidation mnésique. L’événement en sera d’autant plus vitalisé, donc porteur, conductile. L’ensemble de ces associations, nouvelles et familières appartenant à la tranche de vie, vient alors interagir avec l’histoire personnelle permettant la formation potentielle d’une trace mnésique.
L’étape de sémantisation
Au cours suivant, le maître sera en mesure de réactiver cette trace dont les éléments sont potentiellement disponibles, avec une reviviscence des détails de l’événement ou bien
des éléments qui tendent déjà à se dégrader, se décontextualiser, c’est-à-dire se sémantiser avec le temps (événements familiers). Ce type de phénomène est dépendant de l’âge développemental des enfants : l’évolution de la mémoire épisodique étant étroitement dépendante de la maturation cérébrale, notamment du lobe temporal mésial et du cortex préfrontal, les enfants au-delà de 7 ans (en moyenne) présenteront une récupération plus détaillée de l’épisode.
Par ailleurs, la récupération est un acte d’apprentissage. On observera en effet que, corolairement au développement du cortex préfrontal, guide des stratégies de récupération jouant un rôle essentiel dans les capacités de flexibilité mentale, l’attitude du maître sera de moins en moins interventionniste, laissant progressivement la place à la spontanéité stratégique des enfants. À cette étape du développement, le rôle interventionniste du maître consistera à guider l’enfant : ce dernier va se baser sur ses connaissances et utiliser ses capacités de flexibilité mentale pour valider ses propres objectifs.
La flexibilité mentale
Pour donner un exemple d’éducation à la flexibilité mentale, évoquons le cas d’un petit pianiste capable d’enchaîner toutes les notes de la gamme, touche après touche, de manière filaire (exercice demandant beaucoup d’attention et un bon contrôle psychomoteur). Le maître va alors lui apprendre les tierces (par exemple do-mi) en lui proposant de sauter une note sur deux. Cette nouvelle action qui utilise et traite les premières compétences (le filaire) pour aborder une autre compétence (le non filaire) demande et développe la flexibilité mentale.
Les « notes qui s’aiment »
Ainsi, l’élève accèdera à un nouveau domaine d’expression, ce que Mozart a appelé « les notes qui s’aiment », soit les intervalles et les accords (sons couplés par deux ou trois).
En sautant une note, l’enfant pourra facilement réaliser des improvisations en tierces du type « petit lapin qui saute », et les accords lui permettront d’évoquer les carillons et autres appels.
La récupération des événements en adéquation avec ses propres objectifs représentera donc un support de travail riche conçu comme un acte de création. Pour cela, le maître va intervenir selon la technique « des mimes et des murs », et ses trois actions pédagogiques consisteront à soutenir, bloquer ou valider les productions de l’élève pour actualiser, dans le sens de transformer l’émotion, la connaissance, en acte.
Et cette opération d’actualisation-appropriation permettra à l’enfant de créer une séquence temporelle nouvelle dont les exigences et caractéristiques sont différentes de celles qui ont primé lors de l’apprentissage.
Ainsi, l’enfant apprend à apprendre, il s’initie à une dynamique d’apprentissage, il comprend qu’apprendre n’est pas rabâcher une information, mais constituer un écrin à la nouveauté, choisir la meilleure situation qui permettra d’accueillir la nouvelle information, puis évaluer la meilleure dynamique de restitution, considérant qu’actualiser, c’est créer.
Actualiser, c’est créer
La posture du maître permettra, à ce stade, d’injecter une altération à la fois constructive et provocante, dont la nature a été évoquée par l’enfant au cours de ses multiples « réussites » sonores, et dont l’opportunité est de stimuler la fonction d’apprentissage. Ainsi l’enfant est ramené à ses goûts profonds évoqués dans le passé, eux-mêmes confrontés à l’épreuve de l’actualisation, à l’état présent des exigences.
De ce conflit constructif émergera l’épisode pédagogique, comme «une tranche de vie», concentrant des zones de réussites multiples dans un contexte affectif.
Car les facteurs émotionnels constituent des facteurs renforçateurs de la consolidation mnésique. Au même titre que le développement des capacités linguistiques et donc symboliques vont favoriser la consolidation en permettant à l’enfant de construire un script des épisodes vécus et donc aboutir à une meilleure restitution de ces derniers.
L’ensemble de ces éléments s’observent explicitement au cours des séances de piano et permettent l’émergence de la spontanéité voire de la créativité basée sur l’accumulation et la récupération de connaissances qui prennent ici tout leur sens.
Ainsi, de ce remodelage naît la capacité d’apprendre.
Qu’est-ce qu’apprendre ?
L’apprentissage apparaît comme un acte unique, personnel et créatif, utilisant l’élan de reviviscence comme potentiel d’apprentissage. Le rôle du maître est essentiel à ce stade d’évolution, car il permet à l’enfant de sortir en permanence de ces boucles répétitives qui le conduiraient à un échec expressif. L’idée éducative consiste à établir la médiation permettant à l’enfant d’utiliser ses propres forces, son potentiel, pour une création qu’il ne sait pas définir de manière explicite, mais qui réside en filigrane dans ses productions sonores. La vision pédagogique née d’une expertise des improvisations, aiguisée et validée par l’accompagnement proprioceptif, va alors permettre de proposer à l’enfant ce qu’il a défi ni spontanément comme son goût, son évodique