Développement cérébral, trace mnésique et éducation musicale

Marion Noulhiane

U663 – Epilepsies de l’Enfant et Plasticité Cérébrale 

INSERM – Université Paris Descartes – CEA/NeuroSpin/UNIACT

Alors que le circuit mnésique cérébral chez l’adulte est à ce jour bien connu, la connaissance de son développement au cours de l’enfance n’en est encore qu’à ses balbutiements. Les bases neurales du développement de la mémoire chez l’enfant ont récemment été exploré au moyen de techniques de pointe telle que la neuroimagerie fonctionnelle et ont permis de une avancée considérable quant à la compréhension de « où » et « comment » nous stockons nos souvenirs depuis l’enfance. L’objet de cet article est d’apporter quelques éléments clés pour éclairer les aspects du développement cérébral sous tendant la trace mnésique au cours de l’enfance.

1. Plasticité neuronale et développement cérébral

Le cerveau du nourrisson est certes efficient à la naissance mais sa maturation fonctionnelle se poursuit jusqu’à l’âge adulte, soutenue par la plasticité des réseaux neuronaux. L’environnement et l’expérience sont les principaux stimulants de cette capacité d’organisation ou de réorganisation cérébrale, dont l’activité domine pendant l’enfance. Selon les apprentissages, différents réseaux neuronaux seront potentiellement activés et impliqueront les fonctions sensorielles et cognitives en conséquence. Le cerveau est ainsi qualifié de « plastique » ou de « malléable ».

La plasticité neuronale, ou plasticité cérébrale, décrit les mécanismes par lesquels le système nerveux est capable de se modifier par l’expérience. Ce phénomène intervient pendant le développement embryonnaire, l’enfance, la vie adulte ou encore lors de conditions pathologiques (lésions cérébrales, maladies). La plasticité cérébrale crée de la variabilité entre les individus en introduisant une diversité de l’organisation fine du cerveau en fonction des interactions avec l’environnement. La plasticité cérébrale est parmi les découvertes récentes primordiales en neurosciences : elle révèle que le cerveau est un système dynamique, en perpétuelle reconfiguration. Cette notion est cruciale au regard du développement des compétences cognitives et des apprentissages réalisés au cours de l’enfance.

Pourtant, envisager un rapport entre apprentissage et organisation neuronale n’est pas une conception récente. Les grecs avaient énoncé l’hypothèse de l’existence d’une relation entre création d’un souvenir et réarrangement du cerveau. Des siècles plus tard, Eugenio Tanzi introduit le concept de plasticité (1893), sans toutefois en utiliser le terme, pour rendre compte que « l’activation répétée d’un neurone conduit à des modifications métaboliques provoquant le mouvement des prolongements de ce neurone en direction d’autres neurones, de façon à former un lien ». Simultanément, Cajal (1894) énonce une théorie selon laquelle l’information serait stockée en mémoire grâce à des modifications anatomiques des connexions entre les cellules nerveuses. Selon lui, « l’exercice mental n’est pas capable d’améliorer l’organisation cérébrale en augmentant le nombre de cellules, mais plutôt en favorisant le développement de l’appareil dendritique et du système de collatérales axonales dans les régions cérébrales les plus utilisées. En ce sens, les associations déjà établies parmi certains groupes de cellules seraient significativement renforcées par la multiplication des petites branches terminales de l’arborisation dendritique et des collatérales axonales ». Les bases morphologiques du concept de plasticité étaient ainsi établies. En 1949, Donald Hebb énonce une théorie, promue par la suite « loi de Hebb », selon laquelle la force de la synapse existant entre deux neurones se trouve renforcée si ces neurones sont simultanément actifs : il s’agit du renforcement synaptique. Ce renforcement synaptique peut être positif, augmentant ainsi la force de la connexion, il s’agit alors de facilitation de la transmission synaptique (ou potentialisation). Au contraire, si ce renforcement est négatif, il s’agit d’inhibition synaptique (ou dépression). Ces deux termes, potentialisation ou dépression, s’inscrivent dans le cadre plus large de la plasticité synaptique. Cette proposition théorique a été validée sur le plan expérimental. L’étude de systèmes simplifiés comme l’aplysie (Eric Kandel, prix Nobel de Médecine en 2000) ou une tranche d’hippocampe de rat (Bliss et Lomo, ) ont permis d’aborder des questions fondamentales concernant l’apprentissage et la mémoire. Les avancées remarquables fournies par les auteurs ayant disséqué ces systèmes nous ont rapprochés de la compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaires qui pourraient expliquer la mémoire. L’évolution des techniques de pointe telle que la neuro-imagerie anatomique et fonctionnelle, notamment non invasive, a également largement contribué à l’accroissement des connaissances et permet actuellement de poser des questions tout aussi fondamentales chez l’Homme et au cours du développement.

En somme, l’impact des apprentissages sur les réseaux neuronaux engage des mécanismes moléculaires et cellulaires qui soutiennent la trace du souvenir tout au long de la vie. Initialement, ces mécanismes sont rendus possibles par la maturation cérébrale, notamment par la maturation des structures cérébrales cruciales au stockage des souvenirs.

2. Développement cérébral et souvenirs

Notion de systèmes mnésiques

L’étude des bases neurales de la mémoire constitue un domaine majeur et fascinant des neurosciences. Bien que l’on désigne la mémoire sous son terme générique comme un ensemble unique, il convient de distinguer des systèmes mnésiques relativement à la nature des informations à stocker et à leur durée de stockage. De plus, les systèmes mnésiques font intervenir des réseaux cérébraux distincts selon la nature des informations à stocker. Ainsi, le stockage des informations de type procédural (par exemple, le savoir « faire du vélo ») impliquerait une récupération non consciente de l’information, sous-tendus par des réseaux neuronaux sous-corticaux (notamment les ganglions de la base et le cervelet). En revanche, la récupération consciente d’un événement dans son contexte d’acquisition, avec ses détails spatiaux et temporels, engagerait un réseau se distribuant au niveau du lobe temporal mésial (notamment l’hippocampe), le diencéphale (thalamus et corps mamillaires) ainsi que le cortex préfrontal. Ce type de mémoire renvoie au système dénommé « mémoire épisodique », en référence aux épisodes des souvenirs contextualisés dans le temps et l’espace, socle du « voyage mental dans le temps » (Tulving, 1985). En revanche, la mémoire sémantique est celle des concepts sur le monde en général, impliquant les compétences langagières. De fait, la mise en place des systèmes mnésiques est en étroite dépendance avec le développement cérébral. Nous nous focaliserons plus particulièrement sur l’effet des apprentissages et les capacités à stocker des souvenirs de type épisodique, capacités déterminées par le phénomène de consolidation mnésique.

La consolidation mnésique est le processus nécessaire à la stabilisation de la trace mnésique aussi dénommée engramme, c’est à dire la trace biologique et psychologique du souvenir [qu’est-ce que c’est ?] après l’acquisition (ou encodage) initial, qui assurera la potentielle récupération du souvenir. Ainsi, tout apprentissage ou formation d’un souvenir implique 3 étapes : encodage, stockage (ou consolidation) et, éventuellement, récupération. Comme toute fonction cognitive, la consolidation mnésique est dépendante de la maturation des structures cérébrales et plus notamment de structures localisées dans le lobe temporal mésial, à savoir l’hippocampe et les cortex adjacents. L’ensemble de ces structures constitue un circuit neural nécessaire au stockage du souvenir bien connu chez l’animal et l’adulte mais dont le développement reste encore à clarifier (figure 5).

Il convient de définir également la reconsolidation mnésique. La reconsolidation mnésique désigne le processus par lequel un souvenir consolidé, réactivé par son rappel, retourne dans un état labile et devient à nouveau sujet à stabilisation et modification, participant ainsi au caractère malléable de nos souvenirs dans le temps. Les récentes données sur la reconsolidation démontre toute la nécessité d’explorer la mémoire sous son angle dynamique. Les similitudes observées entre les deux phénomènes, consolidation et reconsolidation, ne doivent pas masquer l’existence de différences, par exemple, la reconsolidation serait un phénomène plus rapide que la consolidation (McKenzie & Eichenbaum, 2011). Aujourd’hui, la plupart des études s’accordent sur le fait que la reconsolidation est un phénomène avéré dans le sens où, en post-réactivant une trace mnésique, elle retrouve une sensibilité proche de celle existant après l’acquisition. Mais, la reconsolidation n’est pas une simple réplication de la consolidation. Lors de la réactivation, la trace réactivée est en rivalité avec la trace préexistante pour intégrer de nouvelles informations. La mémoire n’étant pas vierge, ce type d’opération doit déjà s’effectuer lors de la consolidation. La consolidation et la reconsolidation seraient donc l’une et l’autre des phénomènes de remises à jour de schémas cognitifs et comportementaux en réponse aux contraintes de l’environnement.

Comment de tels processus se mettent-ils en place au cours de l’enfance ?

Développement cérébral et le dogme de l’amnésie infantile

La question des capacités de consolidation mnésique au cours de l’enfance est aujourd’hui l’objet d’un débat vif (la reconsolidation n’étant pas encore entrée dans le champ de la recherche développementale). Le dogme selon lequel l’enfant serait dans l’incapacité d’encoder, de consolider et de récupérer des souvenirs épisodiques dans sa petite enfance a été revisité par des travaux comportementaux (Morris et al., 2010 ; Bauer et al., 2007). Ainsi, le phénomène mnésique développemental classique, qui a longtemps perturbé la possibilité d’envisager des compétences mnésiques précoces, est celui de l’amnésie infantile, définie comme un manque relatif de souvenirs des premières années de vie (Morris et al., 2010). Or, il a récemment été montré que l’enfant d’âge scolaire est capable de se souvenir de détails épisodiques à mesure qu’il grandit (Van Abbema et Bauer, 2005). Une croissance exponentielle du rappel des souvenirs durant l’enfance est décrite, le pourcentage d’oubli diminuerait grâce à une amélioration progressive de l’efficience des processus de consolidation mnésique (Bauer et al., 2007). Chez le jeune enfant (avant 4 ans), l’effet de l’interférence (l’effet d’un apprentissage sur un autre apprentissage) serait en revanche plus prononcé, d’où une vulnérabilité plus importante et continue de la trace mnésique et donc de l’oubli. Plus exactement le peu de souvenirs de la petite enfance serait caractéristique de l’amnésie infantile. Après 7 ans, les enfants sont capables de générer et de dater des souvenirs spécifiques de leur enfance (Bauer, 2007).

Des facteurs déterminants favoriseraient le maintien des détails épisodiques des souvenirs de la petite enfance telle que la cohérence thématique des récits d’expériences vécues personnellement (Morris et al. 2010). La récupération d’un souvenir comme un tout facilite favorise la persistance du souvenir : les récits de souvenirs à forte cohérence thématique contiennent plus d’élaborations, plus de liens de causalité et plus d’interprétations que les autres. La valence émotionnelle, c’est à dire, la qualité intrinsèquement agréable ou désagréable d’un stimulus ou d’une situation, est également importante. Dans une étude en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) menée chez des enfants de 7 à 17 ans réalisant une tâche de reconnaissance de visages émotionnels (neutre versus peur), nous avons montré l’implication du lobe temporal mésial et sa modulation en fonction de l’âge par les noyaux amygdaliens, structures essentiels pour le traitement émotionnel (Pinabiaux et al., 2013). L’expérience semble aussi influencer le développement de la flexibilité mnésique : les apprentissages contribuent à complexifier des réseaux de connaissances préexistantes au sein desquels les nouveaux souvenirs peuvent potentiellement être reliés et intégrés. Il faut que le réseau de connaissances soit cependant suffisamment riche pour que le nouveau souvenir puisse y être intégré et ne pas être isolé et inflexible (Morris, 2006).

En somme, les souvenirs épisodiques deviendraient plus fiables et solides à la fin de l’enfance. La dynamique de la trace mnésique observée au cours de l’enfance a un lien avec le développement cérébral. La progression durant l’enfance du nombre de souvenirs et de la quantité de détails épisodiques les caractérisant serait due en partie au développement progressif des processus d’encodage, de consolidation et de récupération associé à la maturation prolongée des réseaux du lobe temporal mésial.

Développement cérébral et dynamique mnésique

La dynamique mnésique observée au cours de l’enfance fait écho avec le développement cérébral. De façon générale, le développement des processus d’encodage serait davantage attribué à une myélinisation rapide durant la première année, assurant un traitement de plus en plus rapide de l’information. Les régions CA et le gyrus denté jouent un rôle décisif dans le stockage et la consolidation des souvenirs épisodiques dès le plus jeune âge (Zeinah et al. 2005, Richmond & Nelson, 2007). Alors que l’hippocampe propre (Champs Ammoniens, CA) est mature avant la naissance, le gyrus denté (voie d’entrée principale dans l’hippocampe) poursuit en revanche sa maturation jusqu’à l’adolescence voire au début de l’âge adulte. Dès lors, la variation observée durant l’enfance quant à la quantité de détails épisodiques et leur nombre seraient du au développement progressif des processus d’encodage, de stockage et de récupération en lien avec la maturation prolongée des réseaux du lobe temporal mésial. Selon les données de neuroanatomie, cette variation serait notamment expliquée par la maturation cellulaire (formation et migration) du gyrus denté, plus particulièrement impliqué dans l’habileté à récupérer des souvenirs dans de nouvelles situations. Au sein du lobe temporal mésial (Figure 1), la littérature animale et la neuroimagerie chez l’adulte s’accorde sur le contribution distinctive des différentes structures (identification d’item et sentiment de familiarité pour un événement traité par le cortex périrhinal ; récupération du contexte spatial et revivisence pour le cortex parahippocampique, mise en lien de l’item et du contexte pour une reviviscence intégrale assurés par l’hippocampe). En contraste, ces connaissances doivent être vérifier au cours du développement, les études neurodéveloppementales à ce jour étant quasi-inexistantes. Récemment, Cooper, Vargha-Khadem, Gadian et Maguire (2011) ont montré que des enfants de 12 ans d’âge moyen soumis à une tâche de mémoire épisodique rappellent en détail les souvenirs d’événements récents (informations spatio-temporelles, détails épisodiques spécifiques épisodiques). La comparaison de leur performance à celles d’enfants avec lésion hippocampique bilatérale dont le rappel s’avère altéré (les détails spécifiques et spatio-temporels des épisodes étant perdus bien que la capacité à générer une description globale de l’événement épisodique récent soit préservée), révèle le rôle crucial de l’hippocampe dans la recollection épisodique au cours de l’enfance. De plus, les performances observées chez les enfants de 12 ans avec atteinte sont similaires à celles observées par Bauer (2007) chez des enfants sains entre 7 et 10 ans : l’information factuelle prédomine pendant le rappel d’événements personnels, avec peu de détails concernant le contexte spatio-temporel. Ces résultats suggèrent que si la reviviscence épisodique émerge de manière progressive durant l’enfance, alors des atteintes hippocampiques précoces interfèrent avec son développement conduisant à une stagnation de cette capacité avant le début de l’adolescence. A cet égard, les études en neuroimagerie fonctionnelle s’avèrent inestimables pour clarifier la mise en place du réseau neural sous tendant le développement de la mémoire.

Figure 1. Circuit mnésique au sein des structures temporales mésiales (d’après Kaddouch et Noulhiane, 2013)

En référence au circuit anatomique mnésique décrit chez le primate non humain, les récents modèles (par exemple le Binding of Items and Contexts (BIC), de Diana et al., 2007) issues des données en neuro-imagerie et neuropsychologie chez l’adulte proposent que le cortex parahippocampique et l’hippocampe seraient associés à la recollection (ou reviviscence), le premier par l’encodage et la récupération d’informations contextuelles et le second par l’association de l’item et du contexte d’information, et le cortex périrhinal prendrait en charge la familiarité (encodage et récupération d’informations spécifiques à l’item, décontextualisation et sémantisation des informations avec le temps), l’amygdale colorant émotionnellement les souvenirs.

En effet, l’étude des fonctions cognitives en relation avec le développement cérébral a largement bénéficié des progrès spectaculaires accompli par la biologie au cours des dernières décennies, et notamment des recherches menées en neuro-imagerie anatomique et fonctionnelle. Ces techniques offrent la possibilité d’explorer les réseaux d’activation qui sous-tendent les fonctions cognitives complexes. Plus précisément, l’imagerie par résonance magnétique (IRM), associée à des techniques d’analyse de données adaptées, permet de mesurer individuellement et de manière non invasive la maturation anatomique et fonctionnelle du cerveau aussi bien chez l’enfant que chez le jeune adulte. Par ailleurs, les techniques d’électrophysiologie (électro-encéphalographie et magnéto-encéphalographie) enregistrent passivement l’activité électromagnétique cérébrale lors de la réalisation d’une tâche cognitive. Là aussi, le caractère non invasif des techniques d’électrophysiologie permet de recueillir des données chez des volontaires sains. Les techniques d’électrophysiologie permettent de plus d’être réalisés à tout âge incluant le bébé, chez des enfants libre de leur mouvement ― contrairement au dispositif en tunnel de la caméra IRM et la « prise de photos » qui impliquent une immobilité totale, rendant l’examen complexe chez des enfants volontaires sains d’âge préscolaires (inférieur à 7 ans) alors que certaines études sont menés chez le bébé.

Mesure des souvenirs chez l’enfant : la problématique linguistique et l’apport de la musique

Toutefois, de nombreuses études chez l’enfant sont confrontées à la difficulté d’étudier les performances mnésiques en deçà de l’acquisition du langage. Dans ce contexte, la musique, et les apprentissages qui l’accompagnent lors d’une séance à l’école Kaddouch, s’avèrent un médiateur précieux, une voie royale pour explorer la consolidation des connaissances, ce support crucial pour le jaillissement de la créativité. Il est donc légitime de se demander quel serait l’impact des apprentissages en milieu conductile[1] lors des séances de piano sur tels ou tels réseaux neuronaux, en fonction des périodes de la vie où ils seraient pratiqués (enfance, adolescence, âge adulte). La capacité à créer et à maintenir des associations est cruciale pour le développement de la mémoire épisodique. Cette dernière est communément reconnue comme étant l’un des systèmes mnésiques des plus tardifs à arriver à maturité, ce qui est à mettre relation avec le maturation progressive des structures temporales mésiales et frontales sur les plans morphologique et fonctionnel. Peu d’études sont encore disponibles dans ce domaine, et ces études révèlent la complexité d’élaborer des épreuves appropriées pour explorer les capacités mnésiques des jeunes enfants, particulièrement à l’âge pré-linguistique.

Afin de mieux comprendre les relations entre éducation musicale, milieu Conductile et développement mnésique, nous avons mené des études comportementales auprès d’enfants de l’école Kaddouch de Paris, en collaboration avec l’UMR 663/UNIACT NeuroSpin dans le cadre de travaux de recherche d’étudiants en Master (Solène Lebars – Psychologie Cognitive, Université Paris Descartes et Clara Moreau – Sciences Cognitives, Université Paris Descartes-ENS) sous la codirection du Dr Marion Noulhiane et Robert Kaddouch.

L’une des études que nous avons menée a considéré la voie de la synesthésie (c’est-à-dire l’association de sens) judicieuse pour l’étude de la dynamique de la trace mnésique chez le jeune enfant. Dans ce but, le un protocole expérimental a été proposé à 44 enfants âgés de 2 à 10 ans (2-3 ans, 4-5 ans, 6-10 ans) et comprenait 3 phases : phase 1 : la synesthésie portait sur 4 odeurs (citron, lavande, banane, truffe) et 4 mélodies, respectivement : les enfants avaient pour tâche d’associer une odeur à une mélodie ; phase 2 : les enfants avaient pour tâche d’encoder et de retenir à court terme cette association ; phase 3 : après 21 jours, la mélodie était présentée et les enfants devaient retrouver de mémoire l’odeur qui lui était associée. Les résultats ont montré : phase 1 : quel que soit leur âge, les enfants manifestaient de meilleure performance pour le citron ; phase 2 : les performances étaient meilleures pour le citron et pour le groupe plus âgé ; phase 3 : les mêmes résultats étaient observés avec une relation significative entre la performance et l’âge (figure 2). Cet effet développemental souligne que, dès le plus jeune âge, la maturation anatomofonctionnelle serait suffisante pour supporter le maintien à long terme de la trace mnésique d’une odeur familière (le citron) quel que soit l’âge. En revanche, les performances mnésiques s’avèrent sensibles à la durée de rétention : celles-ci augmentent avec l’âge des enfants et selon la nature du stimulus (l’odeur du citron étant mieux mémorisée que l’odeur de la truffe). En conclusion, les données ont révélé une forme précoce de mémoire épisodique caractérisée par un maintien à long terme de la trace mnésique, dès le plus jeune âge. La synesthésie musique-olfaction est donc une voie pertinente pour créer une trace mnésique et sa récupération après plusieurs jours.

Figure 2 : Scores obtenus (moyenne ± écart type) en phase 3 (récupération) en fonction des groupes d’âge pour chacune des quatre odeurs. Les comparaisons intra- (posthoc LSD) sont indiquées dans la fi gure (*p<0,05 ; **p<0,01 ; ***p<0,001). (d’après Kaddouch et Noulhiane, 2013)

Conclusion

En conclusion, la capacité de créer des souvenirs et de se les rappeler est une part essentielle de l’expérience humaine. La mémoire joue un rôle vital dans le fonctionnement social, affectif et cognitif : elle est au centre du développement cognitif. En combinant les mesures comportementales permettant  d’étudier la dynamique de la trace mnésique selon une perspective développementale, telle que les protocoles que nous mettons en œuvre avec Robert Kaddouch et les nouvelles techniques d’IRM révélant la plasticité des réseaux neuronaux qui sous-tendent le développement cérébral, nous éluciderons progressivement l’édification de la formation des souvenirs au cours de l’enfance.

Reférences

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Bauer, P. J., Burch, M. M., Scholin, S. E., & Güler, O. E. (2007). Using cue words to investigate the distribution of autobiographical memories in childhood. Psychological Science, 18(10), 910-916.

Bliss TV, Lomo T. Long-lasting potentiation of synaptic transmission in the dentate area of the anaesthetized rabbit following stimulation of the perforant path. J Physiol. 1973

Cooper, J. M., Vargha-Khadem, F., Gadian, D. G., & Maguire, E. A.(2011). The effect of hippocampal damage in children on recalling the past and imagining new expériences. Neuropsychologia, 49 , 1843–1850.

Diana RA, Yonelinas AP, Ranganath C. (2007) Imaging recollection and familiarity in the medial temporal lobe: a three-component model. Trends Cogn Sci.;11(9):379-86.

Kandel, ER in La Mémoire : de l’esprit aux molécules, Larry R. Squire, Eric R. Kandel, éditions de Boeck, 2002

Morris, G., Baker-Ward, L., & Bauer, P. J. (2010). What remains of that day: The survival of children’s autobiographical memories across time. Applied Cognitive Psychology, 24(4) , 527–544.

Pinabiaux C., Hertz-Pannier L, Chiron C, Rodrigo S, Jambaqué I, Noulhiane M. (in press). Memory for fearful faces across development: specialization of amygdala nuclei and medial temporal lobe structures (Frontiers in Human Neuroscience).

Richmond, J., & Nelson, C. A. (2007). Accounting for change in declarative memory: A cognitive neuroscience perspective. Developmental Review, 27(3),  349-373.

Tanzi, E. (1898). Sulle modificazione morfologiche funzionali dei dendriti delle cellule nervose. Rivista di Patologia Nervosa e Mentale, 3, pp. 337–359.

Tulving, E. (1985). Memory and consciousness. Canadian Psychologist, 25, 1-12.

Van Abbema, D. L., Bauer, P. J. (2005). Autobiographical memory in middle childhood: Recollections of the recent and distant past. Psychology Press : Memory, 13(8),  829-845.


[1] La conductibilité est l’acte de communiquer sa sensibilité personnelle par la création, et de retrouver à travers la création d’un tiers la sensibilité personnelle de celui-ci (Kaddouch et Noulhiane, 2013).